Le docteur Thorne, Anthony Trollope

51YhznTzPsL._SX195_ Ah, l’Angleterre du XIXe siècle, sa campagne, ses châteaux et ses classes sociales ! Alors que le Royaume-Uni a plongé l’Union européenne dans l’émoi ces derniers jours, pourquoi ne pas voyager dans le temps avec Anthony Trollope, le prolifique romancier, contemporain de Charles Dickens, qui faisait dire à Tolstoï : « Il me tue, il me tue avec sa maîtrise! »

Dans Le docteur Thorne, on retrouve tous les éléments attendus du roman britannique : amours contrariées, responsabilités de la naissance, familles aristocrates dignes, mais pauvres, et contraintes à conclure dignement des mariages avec de grandes fortunes… De quoi ravir les fans de Downton Abbey. Le pitch : Mary et Frank sont amoureux, mais Frank, en tant qu’aîné, doit « épouser une fortune » pour rembourser les nombreuses dettes de son père et sauver le domaine familial. Mary, noble de charactère mais pauvre et de naissance obscure, fait frémir d’effroi la famille de Frank.

Ici, on est au début d’un tournant pour la société britannique. Trollope nous dépeint une époque où les frontières entre l’aristocratie, les roturiers (donc non-nobles, mais pouvant néanmoins être haut placé sur l’échelle sociale) et les autres commencent, sinon à s’effacer, du moins à s’adoucir. Parmi les personnages haut en couleur, un entrepreneur de travaux publics, issu du peuple, a été annobli pour services rendus à la nation, et se retrouve millionnaire et baronnet. C’est auprès de lui que s’est endetté le squire, père de Frank. Avec une précision de chirurgien, un peu de sarcasme, mais aussi un soupçon de tendresse, Trollope lève le voile sur les petites perfidies humaines, et l’hypocrisie d’une aristocratie qui – déjà ! – s’agenouille devant la fortune.

Aujourd’hui, alors que l’Angleterre est devenue le berceau de la finance internationale, que les traders millionnaires pullulent dans les rues de la City et tirent les ficelles des marchés internationaux, il est amusant de s’étonner de la modernité d’un roman écrit en 1858.

Gulliver’s Travels, Jonathan Swift

En quelques mots : Les extraordinaires mésaventures de Lemuel Gulliver, un chirurgien avide de voyages, dont les pérégrinations l’amènent à Lilliput, terre des liliputiens, mais aussi dans de nombreuses autres contrées remarquables, où ses préjugés sur la supériorité de sa culture occidentale finissent par être mis à rude épreuve.

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Premières lignes : « My father had a small estate in Nottinghamshire; I was the third of five sons. »

Vous connaissez sans doute les aventures de Gulliver chez les Liliputiens, ces être minuscules qui finissent par adopter le héros. Mais il ne s’agit là que de la première partie des voyages de Gulliver, qui se retrouve tour à tour chez les géants de Brobdingnag, où sa petite taille lui fait souvent courir des périls mortels, à Laputa, dont les habitants ne vivent que pour les sciences et la musique, et enfin chez les Houyhnhnms – si leur nom ressemble à un hennissement, c’est parce que ce peuple a l’apparence de chevaux, mais sont dotés d’une raison supérieure aux humains.

Pendant ses premiers contacts avec ces étranges civilisations, Gulliver est fier de sa patrie et ne remet jamais en question la suprématie de la civilisation britannique sur toutes les autres, qu’il s’agisse de l’agencement de la société, du système de gouvernement ou de la justice du pays.

Mais au terme de son 4e voyage, il tombe sous l’autorité morale du peuple-cheval, dont il reconnaît la sagesse supérieure, et se met petit à petit à mépriser toute forme humaine. S’il est assez classique dans la littérature du XVIIIe siècle de créer la satyre en faisant voyager son héros dans des contrées imaginaires, Les Voyages de Gulliver se distinguent néanmoins par le comique parfois un peu troupier qui traverse l’œuvre : Gulliver éteint un incendie en soulageant une envie naturelle, Gulliver est horrifié en voyant une nourrice faisant 10 fois sa taille donner le sein à un enfant, et s’étend copieusement sur l’épouvante qu’il ressent en voyant un téton d’un mètre de large, etc.

Il s’agit donc d’une lecture assez amusante pour les plus jeunes, mais aussi d’une source de réflexion sur l’efficacité des systèmes politiques, démontés à travers la présentation de sociétés utopiques où la répression est bien moindre que dans l’Angleterre des Lumières – enfin… dans l’un des archipels visités par Gulliver, le pouvoir est détenu par un roi absolu qui vit dans une sorte d’île volante, et lorsqu’une ville se soulève contre l’exécutif, la réponse consiste purement et simplement à abattre l’île sur la ville afin de l’anéantir.

« He said so many other obliging things, and I knew him to be so honest a man, that I could not reject his proporal : the thirst I had of seeing the world, notwithstanding my past misfortunes, continuing as violent as ever. »

Si vous avez aimé Les Voyages de Gulliver, je vous recommande : Micromégas, de Voltaire.

La tombe des lucioles, Akiyuki Nosaka

En quelques mots : La magnifique et tragique histoire de deux orphelins de guerre, Seita et sa petite sœur Setsuko, qui, ayant perdu leur mère dans un bombardement, vivent ensemble indépendants le temps d’un été.

Premières lignes : « Dos voûté en appui contre le béton dénudé sous la mosaïque tombant en capilotade d’un pilier de la sortie « côté plage » dans la gare des chemins de fer nationaux à Sannomiya, cul par terre, jambes étendues toutes raides ; et bien que rôti tant et plus par le soleil, bien qu’il ne se fut plus lavé depuis près d’un mois, sur ses joues décharnées stagnait une blafarde blancheur. »

Peut-être connaissez-vous déjà Le Tombeau des Lucioles, le plus beau film d’animation à ma connaissance. Ce roman a donné naissance au film ; il est très court, et donne en quelques dizaines de pages un portrait tragique de deux orphelins de guerre, et de leur lente descente aux enfers. Recueillis puis jetés dehors par une tante ingrate, ils s’imaginent pouvoir vivre tous seuls et s’installent dans une caverne au bord d’un lac, volant de la nourriture quand ils le peuvent, puis dépérissant lentement.

Âmes sensibles, abstenez-vous : à l’image du film, le roman est extrêmement puissant et triste. A ne pas lire quand on n’a pas le moral.


Éditeur : Éditions Philippe Picquier

In memoriam Ray Bradbury

L’auteur de Fahrenheit 451 et des Chroniques martiennes s’est éteint aujourd’hui. N’oublions pas que les totalitarismes et la censure menacent toujours la liberté d’expression, dont Bradbury s’était fait un fervent défenseur. Je rends donc un modeste hommage à cet homme qui côtoie Orwell et Huxley au panthéon des grands auteurs de science-fiction qui pourrait bien être vraie un jour.

Pourquoi le poisson d’avril?

Vous le savez peut-être, autrefois en France l’année était déterminée par le calendrier julien, ancêtre du calendrier grégorien jusqu’au XVIe siècle, et elle ne débutait pas au 1er janvier, mais fin mars. Pour une raison mystérieuse, c’est le 1er avril que le gens ont choisi pour jouer des tours aux étourdis qui avaient du mal à s’adapter au nouveau calendrier. Et c’est ainsi que le poisson d’avril est né. (Pourquoi un poisson? un autre mystère…)

Les 1er avril de l’histoire ont vu des événements importants – le second mariage de Napoléon, l’invention du Nescafé – ou moins fondateurs : la première démonstration de yo-yo.

Ça a été une triste journée pour la musique, avec la mort de Marvin Gaye en 1984, mais elle a vu naître une belle brochette d’écrivains : Gogol en 1809, Edmond Rostand en 1868, et Kundera en 1929.