Ah, l’Angleterre du XIXe siècle, sa campagne, ses châteaux et ses classes sociales ! Alors que le Royaume-Uni a plongé l’Union européenne dans l’émoi ces derniers jours, pourquoi ne pas voyager dans le temps avec Anthony Trollope, le prolifique romancier, contemporain de Charles Dickens, qui faisait dire à Tolstoï : « Il me tue, il me tue avec sa maîtrise! »
Dans Le docteur Thorne, on retrouve tous les éléments attendus du roman britannique : amours contrariées, responsabilités de la naissance, familles aristocrates dignes, mais pauvres, et contraintes à conclure dignement des mariages avec de grandes fortunes… De quoi ravir les fans de Downton Abbey. Le pitch : Mary et Frank sont amoureux, mais Frank, en tant qu’aîné, doit « épouser une fortune » pour rembourser les nombreuses dettes de son père et sauver le domaine familial. Mary, noble de charactère mais pauvre et de naissance obscure, fait frémir d’effroi la famille de Frank.
Ici, on est au début d’un tournant pour la société britannique. Trollope nous dépeint une époque où les frontières entre l’aristocratie, les roturiers (donc non-nobles, mais pouvant néanmoins être haut placé sur l’échelle sociale) et les autres commencent, sinon à s’effacer, du moins à s’adoucir. Parmi les personnages haut en couleur, un entrepreneur de travaux publics, issu du peuple, a été annobli pour services rendus à la nation, et se retrouve millionnaire et baronnet. C’est auprès de lui que s’est endetté le squire, père de Frank. Avec une précision de chirurgien, un peu de sarcasme, mais aussi un soupçon de tendresse, Trollope lève le voile sur les petites perfidies humaines, et l’hypocrisie d’une aristocratie qui – déjà ! – s’agenouille devant la fortune.
Aujourd’hui, alors que l’Angleterre est devenue le berceau de la finance internationale, que les traders millionnaires pullulent dans les rues de la City et tirent les ficelles des marchés internationaux, il est amusant de s’étonner de la modernité d’un roman écrit en 1858.